Adrien Garcia : Le cas Réuni Le - Première Vision Paris
Audacieux et pragmatique, ce passionné de mode de 34 ans vient de lancer la marque Réuni en bouleversant toutes les règles -qu’il s’agisse de création, de production et même de distribution. Un modèle nouvelle génération qui pourrait bien faire école…
Présentez-nous Réuni, qui semble bien plus qu’une marque de mode…
Elle est d’abord le fruit d’une équipe puisque je l’ai conçue avec Alice Bailly -directrice artistique et Julien Garcia, en charge du marketing, de la logistique et du service client. Réuni correspond à notre passion commune pour la mode, et à notre refus de créer une énième marque de prêt à porter. Nous voulions quelque chose de différent et, pour cela, nous avons choisi de remettre à plat le modèle tout entier. Au lieu de chercher l’inspiration, nous partons des désirs de nos clientes en leur envoyant un questionnaire : quel vêtement vous inspire le plus ? Quelle matière ? Comment doit-il être produit ? Nous travaillons alors avec ce cahier des charges, tout en poursuivant le dialogue avec notre communauté. Lorsque nous arrivons à un projet qui nous semble juste, nous réalisons notre campagne et lançons une précommande avant de commencer la production. Ce processus permet de résoudre la plupart des difficultés que connait l’industrie de la mode : nos vêtements sont en phase avec les désirs des consommatrices, nous pouvons évaluer notre production et nos stocks, nous ne sommes pas obligés de recourir aux soldes pour écouler des invendus …
Vous avez imaginé Réuni après avoir vécu différentes expériences professionnelles. Décrivez-nous votre parcours…
J’ai intégré une école d’hôtellerie avant de suivre un cursus de commerce et j’ai ensuite travaillé pour la maison Ducasse et Prêt à manger. A 28 ans, j’ai décidé de vivre mon rêve et de faire de la mode. Je me suis inscrit au studio Berçot, j’ai travaillé pour de grandes maisons et j’ai imaginé un podcast « Entreprendre dans la mode », qui m’a donné l’occasion d’échanger avec de nombreux professionnels. J’ai alors fait le constat que les modèles historiques avaient désormais du mal à fonctionner. Selon moi, les écoles françaises développent la créativité mais pas suffisamment le sens du business, surtout à l’heure d’internet. Je suis bluffé par l’ouverture d’esprit des entrepreneurs issus du monde de la tech. Leur imagination et leur pragmatisme. Il faut que le milieu de la mode (comme celui de la food) se libère du poids des habitudes, des traditions, pour entrer dans une nouvelle ère.
Pour démarrer un tel projet, il faut des financements. Comment les avez-vous obtenus ?
Grâce au système de précommande, les mises de fonds sont assez faibles puisque les gens s’acquittent en amont du produit. Cet argent nous permet de financer la matière première, les ateliers de confection… Notre trésorerie est toujours positive, c’est l’un de nos points forts face aux marques classiques qui doivent parfois attendre jusqu’à 7-8 mois pour récupérer leurs mises de fond -entre le temps de création du designer et le moment où la collection est en magasin. Pour lancer la machine et financer notre premier vêtement (un pull d’hiver vendu à 750 ex), nous avons eu recours à la plateforme Ulule qui a servi de garant et nous a permis de commencer à développer notre communauté. Nous continuons l’aventure avec notre propre site mais, de fait, notre modèle repose toujours sur le crowfunding.
Cette marque est un cas d’école. Essayons d’en détailler les fondamentaux, tout d’abord cette idée de co-création. Elle semble efficace mais n’est-elle pas un frein à votre imagination ?
Nous ne sommes pas dans la recherche d’une créativité absolue, comme le serait une marque plus couture. Nous voulons faire de beaux produits, bien coupés, et enrichis d’un twist qui les rend particuliers ; dans la fonctionnalité, le détail d’une coupe. Nous faisons pour cela appel à des designers qui nous accompagnent le temps d’un projet. Tilmann Wrobel pour notre jean ; le modéliste star Michael Gunter pour notre manteau. Ensuite, nous travaillons beaucoup nos shootings, qui participent à la définition d’une allure, de notre style. Nous pensons qu’aujourd’hui, les gens ont envie de vêtements bien faits, dans de belles matières -dignes des plus grandes maisons- et compatibles avec leur budget. Ils veulent des pièces essentielles et nobles.
Votre production est vertueuse. Comment sourcez-vous vos matières premières ?
C’est un vrai casse -tête et nous y consacrons beaucoup de temps. Nous choisissons des matières très sélectives -notre manteau en laine merinos vient de chez Bacci, le même fournisseur que celui Max Mara. Nos produits sont tous certifiés et quand nous avons sélectionné une matière, nous lui faisons passer une batterie de tests (lavages, séchages à répétition) pour voir comment elle réagit dans le temps. Notre choix répond à cette équation, le meilleur rapport qualité & éthique & prix.
Côté distribution ?
Nous n’envisageons pas d’ouverture de boutique. Nous vendons uniquement sur internet et produisons selon nos précommandes, avec seulement 15% de plus pour garantir les éventuels échanges de taille. Mais chaque produit est réédité l’année suivante, amélioré selon le feeback des acheteurs. Côté logistique, les choses sont aussi très complexes. Nous avons longtemps travaillé avec Ares qui emploient des personnes en voie de réinsertion et nous cherchons aujourd’hui de nouveaux partenaires. Nos livraisons sont faites par coursier à vélo pour Paris, par Chronopost pour la province et l’étranger. Et nous utilisons un service, baptisé Repack, qui a mis au point un système d’enveloppe réutilisable, renvoyée dans un centre de logistique pour être lavée et réemployée.
A quel type de femme s’adresse Réuni ? Et comment développez-vous votre communauté ?
Grâce aux nombreux échanges via nos questionnaires, nous savons que 50% de nos clientes habitent à Paris, qu’elles appartiennent à toutes les générations, même si la moyenne est autour de 40 ans. Quant à notre communauté, elle se constitue par le bouche à oreille, avec un vrai enthousiasme des femmes qui plébiscitent la qualité de nos vêtements et l’esprit de la marque. Loin de l’univers de la fast-fashion, ce système de pré-commande a réintroduit l’idée de l’attente, et du désir.
Vient enfin la question du prix de vos produits. Comment le fixez-vous ?
Assez simplement. On regarde la concurrence, on analyse nos retours clients et on fixe un montant à ne pas dépasser. C’est là qu’intervient notre fameuse équation qualité & ethique & prix. Nos tarifs sont, in fine, assez raisonnables -avec 2 ½ de ratio selon les pièces. Très faible par rapport à l’ensemble du marché.
Quels sont vos objectifs de développement ? Une collection homme ? Une ouverture à l’international ?
On a, bien sûr, beaucoup de rêves mais on est conscient de la nécessité de prendre notre temps. Travailler plus que jamais le sourcing, sortir un produit seulement s’il est vraiment prêt. Pour le moment, on veut aller lentement, assurer les 3-4 prochains lancements sans penser plus loin. Pragmatiques, on vous dit !
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©photo : Benoit Auguste