GLOBAL EVENTS FOR FASHION PROFESSIONALS​

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Fondateur du Festival de Hyères, Jean-Pierre Blanc revient sur les moments forts du plus grand festival de Mode en Europe

Jean-Pierre Blanc a réussi le pari fou de créer à Hyères, à la villa Noailles, le plus grand festival de mode en Europe. Rien ne prédestinait cet autodidacte à créer une telle rampe de lancement pour de jeunes designers. En 1986, lorsqu’il imagine la première édition du concours dans son Hyères natal, alors baptisé Salon des stylistes, il a seulement 20 ans. En près de quarante ans, l’événement est devenu une référence mondiale et les plus grands designers de mode d’aujourd’hui – Anthony Vaccarello (Saint Laurent), Julien Dossena (Rabanne), Felipe Oliveira Baptista (ex-Kenzo), Viktor & Rolf, et bien d’autres encore – ont été élus lauréats sous l’œil de jury exigeants. Jean-Pierre Blanc revient sur ses souvenirs les plus intenses de ce festival hors norme, qui défend une création sans concession.

Karl Lagerfeld and Jean-Pierre Blanc © Filep Motwary

En 1986, en quoi la décision de lancer un tel festival était-elle audacieuse ?

Déjà, il fallait une bonne dose de culot pour organiser un tel événement loin de Paris. La capitale était le phare absolu de la mode. Imaginer que le monde de la mode accepte de descendre à Hyères pour assister à un festival lancé par un parfait inconnu était complètement fou ! Le premier défilé a eu lieu dans une église désaffectée, il commençait le matin et se terminait… le soir, il durait toute une journée ! Nous avons toujours misé sur une forme de radicalité.

Ensuite, je trouvais regrettable que les métiers du luxe et de la mode soient réservés à une élite et je voulais changer la donne. J’avais remarqué que l’accès à ce milieu était souvent réservé à des « fils de » ou à des « nièces de » et je souhaitais remettre le talent au centre des choses. J’étais assez remonté contre le système.  

Victor & Rolf © archive Villa Noailles

En 1991, John Galliano accepte de venir défiler spécialement à Hyères. Un an plus tard, Helmut Lang, Jean Colonna, Martine Sitbon, Marc Ascoli, Jean Touitou et Martin Margiela sont réunis dans le même jury. Deux moments d’histoire de la mode pour le moins « extrêmes »… Quels souvenirs en gardez-vous ?

Quand je repense aujourd’hui à la venue de Galliano en 1991, je me dis que c’était quand même improbable ! Il était la coqueluche absolue de Paris, et il accepte de venir à Hyères organiser un défilé mémorable. L’année suivante, c’est carrément une soucoupe volante qui débarque, les créateurs les plus talentueux de la mode underground sont réunis dans un seul et même jury. Le plus fou c’est que Martin Margiela qui refusait alors de montrer son visage se laisse photographier tout le week-end. La troisième secousse tellurique se fait sentir en 1993 : Viktor & Rolf, deux garçons qu’on a repêchés de la sélection, font un défilé éblouissant avec des mannequins aux yeux bandés et raflent tout.

Vous avez convaincu les plus grands noms de la mode de présider le jury : Paco Rabanne, Yohji Yamamoto, Karl Lagerfeld, Azzedine Alaïa, Christian Lacroix, Dries van Noten… J’imagine qu’il faut une bonne dose de courage et d’audace pour approcher ces personnalités et puis, les convaincre ?

Les talents savent que s’ils acceptent de faire quelque chose avec moi, ils auront carte blanche. Il n’y aura pas d’interférence dans leur choix artistiques. Cette liberté est radicale, elle est donc convaincante. Et puis, je crois que les créateurs ont conscience qu’ils vont vivre des moments intenses. Il y a 20 ans, Michèle Montagne, qui a très longtemps fréquenté le festival, disait : « les couloirs de l’hôtel Provençal sont devenus une annexe du Palace. » Cela illustre bien l’intensité du festival.

Qu’est-ce qui a drastiquement changé dans la mode ces trente dernières années ?

La mode est devenue un business mondial alors que, lorsqu’on a lancé le festival, elle était plus un commerce « de niche ». Les présentations se sont uniformisées à travers le monde, sous l’influence des grands groupes de luxe. A la fin des années 1980, il n’y avait pratiquement que des maisons indépendantes. Mais je suis tenté de dire (je pense que c’est mon côté ultra optimiste) que la mode est toujours aussi passionnante. Il y a un milieu alternatif qui s’est développé et qui est une force aujourd’hui. C’est un groupe à l’extérieur des grands groupes. Et puis, ce qui nous sauve ce sont les métiers d’art. Les savoir-faire sont respectés par absolument tout le monde et cela donne à voir la mode d’une manière totalement différente.

Rushemy Botter & Lisi Herrebrugh © Luc Bertrand

Comment avez-vous vu évoluer le profil des candidats au fil des ans ?

Les dossiers de candidature que l’on reçoit sont toujours aussi passionnants à découvrir et c’est rassurant. Aujourd’hui, les écoles forment les jeunes d’une manière beaucoup plus professionnelle que lorsqu’on a commencé, c’est indéniable, mais les jeunes créateurs ont gardé la même force, la même ardeur, le même enthousiasme. On aurait pu imaginer une sorte de dégoût pour la profession, avec ces milliards et ces milliards qui circulent ou une forme de découragement de la jeunesse au regard des difficultés d’embauche. Malgré cela, l’attrait pour la mode ne faiblit pas. L’expérimentation la plus radicale est toujours de mise, tant au niveau des matières utilisées que des discours tenus.

La jeune création est-elle plus policée aujourd’hui qu’hier ?

Non pas du tout. Je crois que cela arrange les gens de dire que les grands groupes ont tué la création mais des talents extraordinaires ont émergé ces dernières années avec une force et un courage inouïs : De Pino, Weinsanto, Christoph Rumpf, Botter, Igor Dieryck, par exemple. Rencontrer des jeunes de 20 ans qui ont la tête sur les épaules, créatifs aussi bien dans le stylisme que dans le commercial, ça me fascine toujours.

Petra Fagerstrom and Igor Dieryck © Florian Puech

En 1996, le festival s’installe dans la Villa Noailles construite par l’architecte Robert Mallet-Stevens entre 1924 et 1932. Aujourd’hui vous êtes directeur de la Villa, devenue centre d’art, de design et d’architecture, et vous poursuivez la tradition d’ouverture et de mécénat initiée par Charles et Marie-Laure de Noailles. En quoi ce couple de mécènes était-il iconoclaste et continue-t-il de vous inspirer ?

En termes de radicalité, ils sont les maîtres du monde. Ce sont des aristocrates fortunés qui ont fait tout l’inverse de ce qu’ils étaient censés faire dans leur milieu. Ils ont passé commande à des artistes que personne ne connaissait à l’époque comme Giacometti ou Dalí. Patrick Mimouni qui a réalisé un film sur ce couple singulier dit d’eux : « ce sont deux personnages d’un roman qui n’a jamais existé ». Pour moi, ils sont comme des vigies, des phares dans la nuit.

Clos Saint-Bernard dit Villa Noailles © Olivier Amsellem

Quelle a été l’expérience la plus folle du festival ?

Il y en a eu énormément mais ma rencontre avec Karl Lagerfeld reste inoubliable. Grâce à lui, ma vie a changé. En 1995, il m’a contacté (moi qui venais de nulle part !) pour organiser un shooting photo dans la Villa Noailles. Il est resté une semaine, entouré de son équipe (Julien d’Ys, Nadja Auermann, Stéphane Marais), à raconter les histoires les plus belles du monde, dans une villa en ruine. À chaque fois que je l’ai rencontré, c’était comme un rêve. Ce fut un grand honneur qu’il accepte d’être le directeur artistique de la 30e édition du festival, en 2015.

Je me rappelle aussi l’année 1997, Pierre Hardy était le directeur artistique. On décide de changer de lieu tous les soirs de défilés, on se dit que ça va être drôle ! On organise un show dans la vieille ville de Hyères, un autre dans les sous-sols désaffectés du casino, et un troisième sous le préau d’une école. Et ça, rétrospectivement, je me dis que c’était dingue, en plus, nous n’avions pas un rond à l’époque. Gaspard Yurkievich a gagné cette année-là, des ballons gonflés à l’hélium éclairaient son défilé.

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