Indigo Icons : Maurizio Donadi, l’archiviste du vintage Le - Denim - Denim Première Vision
Passionné de denim, Maurizio Donadi a fait ses armes auprès des plus grands noms de l’industrie. Aujourd’hui, il se consacre au projet Transnomadica, « une marque qui n’en est pas une », mais plutôt une gigantesque archive de près 15 000 pièces d’exception, où l’on retrouve aussi bien de la mode que des meubles, des livres et des accessoires. S’il garde secrètes les adresses précieuses où il déniche ses pépites, il a accordé une interview aux équipes de Première Vision pour revenir sur sa carrière, sa relation au denim et nous livrer ses conseils d’expert.
Vous avez collaboré avec quelques-uns des plus grands noms de la mode, d’Armani à Ralph Lauren en passant par Diesel ou Levi’s, pour n’en citer qu’une poignée. Qu’avez-vous appris auprès de ces marques ?
J’ai eu la chance immense de travailler avec des entreprises et des marques extraordinaires à une période particulièrement intéressante. J’ai tant appris, juste en observant de près le savoir-faire et les idées de leurs fondateurs. Quand j’ai quitté le monde de l’entreprise, j’ai gardé à l’esprit une idée très claire : pour réussir dans la vie et dans le business, il faut suivre son instinct, quoi qu’il arrive.
Comment cela a-t-il influencé votre nouveau projet, Transnomadica ?
Transnomadica est une marque qui n’en est pas une. C’est une adhocratie plus qu’une entreprise. Le point de départ, c’est ma collection d’environ 15 000 objets (vêtements, meubles, livres, décoration d’intérieur, accessoires, etc.) qui servent d’inspiration pour tout ce que nous concevons pour nos clients et pour nous-mêmes. Notre petit atelier interne donne vie à des projets en édition limitée grâce à du prototypage rapide, sur la base de ce que nous avons appris grâce à nos archives. Bien souvent, nos créations sont de totales expérimentations.
« Les marques viennent chercher l’inspiration, tandis que les entreprises nous consultent pour de la stratégie et que les particuliers viennent, eux, pour chiner des pièces qui mettront en valeur leur style. La plupart de ces initiatives sont spontanées : c’est l’instinct qui dirige tout. Et c’est ainsi que la vie évolue naturellement. »
Comment avez-vous trouvé le nom Transnomadica ?
Ce nom évoque intrinsèquement la nature nomade du fait d’apprendre quelque chose de chaque culture.
Pourquoi avez-vous commencé à collectionner des pièces vintage ?
J’ai commencé à m’y intéresser à la fin des années 80, début des années 90, à un moment où je quittais des postes techniques pour donner à ma carrière une direction plus créative, plus orientée marque. M’intéresser au vintage m’a alors permis de prendre de meilleures décisions business, et vice-versa.
Avez-vous des critères définis pour choisir les pièces de votre collection ?
« Je ne cherche rien en particulier.
Je laisse les objets me trouver et me choisir. »
Dans quel pays ou quelle région trouvez-vous les meilleures pièces ?
Je ne révélerai jamais où je fais mon sourcing. Mais je peux vous garantir que je ne vais que très rarement dans les marchés aux puces (y compris le Rose Bowl).
Pourquoi pensez-vous que les jeunes générations soient de plus en plus attirées par les vêtements de seconde main ?
Les vêtements de seconde main présentent une patine et des couleurs naturellement passées, qui appartiennent à une autre époque. Le drapé des étoffes n’est pas le même, les coupes sont différentes, et les vêtements ne réagissent pas de la même façon à votre peau. C’est cette association singulière qui permet aux jeunes et aux moins jeunes de voir le passé comme un sublimateur de style naturel, sans se faire enfermer dans une tendance ni se faire avoir par des messages marketing. Avec les vêtements vintage et de seconde main, on peut se permettre d’être plus créatif, d’expérimenter davantage.
Pensez-vous que l’upcycling puisse devenir la nouvelle norme ?
Je pense que ça l’est déjà.
L’industrie textile a été chamboulée par des problématiques environnementales, des difficultés financières et de nouvelles habitudes de la part des consommateurs. Dans ce contexte, comment percevez-vous l’avenir du denim ? À quels défis doit-il faire face ?
Ce sont des questions auxquelles il est difficile de répondre.
« L’industrie du denim est un système défectueux, mais comme n’importe quelle industrie en ce moment, il faut croire. »
En réalité (si on exclue le textile), qu’il s’agisse de nourriture, de voitures, de téléphones, de chaussures, d’électroménager, de bateaux, de bombes atomiques, de meubles, etc. : on surproduit tout et n’importe quoi en quantités énormes, sans se soucier de l’environnement et des travailleurs, et bien souvent sans que ce soit justifié par un réel besoin. Le denim n’est qu’un rouage d’un système qui permet cette surproduction sans véritable contrôle.
Y a-t-il une innovation dans le monde du denim qui vous fascine et que vous aimeriez utiliser ?
La création et l’innovation sont portées par de petites marques qui créent des produits de manière différente, ou bien des entreprises textiles plus importantes, qui investissent massivement dans la régénération des déchets et mettent au point des tissus biodégradables et / ou compostables. Bien sûr, les entreprises deviennent de plus en plus propres, la question des salaires est de mieux en mieux prise en compte et les usines de lavage se mettent à utiliser des traitements alternatifs aux produits chimiques, pour réduire la consommation d’eau, etc. Mais, fondamentalement, on continue d’inonder le monde de choses qui sont peut-être plus vertes, mais qui sont bien trop nombreuses par rapport à la demande.
Quels sont les pays ou quelles sont les régions qui font bouger le monde du denim aujourd’hui ?
« D’Islamabad à Los Angeles et de Buenos Aires à Milan, le monde du denim vibre de différentes manières, mais plus comme un seul et même mouvement mondial ».
Le commerce du jean vintage et upcyclé rencontre un immense succès à travers le monde, mais les modèles traditionnels à cinq poches, eux, ne s’en sortent qu’à grand renfort de campagnes marketing agressives. Parfois, je vois des maisons de mode ou des marques de luxe créer des jeans très intéressants en termes de coupes et de finissage, mais ces jeans-là restent des pièces inaccessibles, à cause de leur prix ou de leur coupe importable.
Y a-t-il une pièce de votre collection que vous souhaitez transmettre à vos enfants et les voir porter ?
Je voudrais qu’ils choisissent par eux-mêmes, sans se soucier de moi et de mes goûts.
Quelle coupe de jean ne porterez-vous jamais ?
Ça fait bien 15 ans que je n’ai pas porté de jean. Ceci dit, s’il y a bien une coupe que je ne porterai jamais, c’est un skinny stretch.
Quel son et quelle odeur associez-vous au denim ?
C’est une question originale. Concernant le son, ce serait sûrement le son pur de la nature : les oiseaux, le vent, les cascades, etc.
« Pour moi, le denim, n’évoque pas tant la musique rock’n’roll que cette image un peu romantique de la liberté que l’on pouvait avoir dans les années 70. »
L’odeur que j’associerais au denim, ce serait la moins chimique possible. Dans ce cas, je ne préfère aucune odeur à une autre.
Quelle est la pièce mode que vous auriez aimé créer ?
Aucune. En revanche, j’aurais aimé créer ou inventer un objet utile qui améliore le quotidien, qui serait disponible à tous et facile à réparer. Mais bon, j’ai encore le temps pour ça. Peut-être dans le denim, d’ailleurs.
Quelle est votre nuance de bleu préférée ?
Celle d’une vie bien vécue.
Faut-il repasser ses jeans ?
Jamais.
À quelle fréquence faut-il les laver ?
Rarement.