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Mode et intelligence artificielle : vers une industrie augmentée

Les nouveaux modèles de machine learning sont en train de bouleverser les perspectives de la mode, ne laissant personne indifférent, suscitant fascination et inquiétude, passion et rejet. Cette même dualité, qui sépare la mode et l’industrie de la mode, dérive de leur relation à l’innovation et à la tradition, l’attrait pour le futur, la technologie, le digital et le prestige de l’historique, le savoir-faire et le physique. Plutôt que de les opposer, l’alliance et la maîtrise de ces deux (supposés) opposés permettrait le virage vers une nouvelle manière de concevoir, produire et gérer le cycle de vie des vêtements.

Une récente étude1 menée par le Cabinet de conseil Bain & Company et le Comité Colbert souligne que les marques de luxe sont en train de se lancer dans différents cas d’usage de l’IA générative. Les champs d’actions privilégiés sont en premier l’efficacité opérationnelle (prévision des ventes, optimisation des stocks, contrôles de qualité) et en deuxième l’engagement et la relation client (marketing, personnalisation dialogue vendeur-client, segmentation client).

L’utilisation de l’IA sur le marché mondial de la mode devrait représenter 4,4 milliards de dollars d’ici 20272.

Grâce à l’automatisation et à la visualisation informatique de l’IA, la technologie intentionnelle continue de soutenir et d’accélérer l’intelligence et la créativité humaines mais les marques de luxe ne sont pour autant pas encore très engagées sur les outils liés à l’augmentation des compétences des collaborateurs. Bien sûr, la question de la créativité demeure délicate, et la confidentialité dans l’ensemble des process reste un enjeu majeur.


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Cette série de 3 articles explore comment l’IA dessine le futur de la mode dans ses capacités :

  • de segmentation et d’analyse (plus ou moins dirigée, et là réside l’importance du bon sens humain et de l’éthique) d’immenses quantités de données en un temps record (questions sur la qualité et la véracité de cette data, ainsi que de la confidentialité et sécurité)
  • de prédiction de besoins (plus ou moins avérés) de tendances (à suivre ou ne pas suivre), d’erreurs ou de défauts, (parfois invisibles à l’oeil humain)
  • de génération de contenu (pouvant être totalement biaisé comme innovant, jamais vu, inouï, in-imaginé, voire halluciné)
AI and the future of fashion
©Google DeepMind

Ré-investir la chaine ascendante

L’un des axes les plus prometteurs de l’IA dans l’industrie de la mode est sa capacité à améliorer la traçabilité et à renforcer la transparence tout au long de la chaîne d’approvisionnement. En modélisant cette chaîne, en optimisant les flux de travail et en assurant une meilleure communication entre les acteurs (sous condition d’interopérabilité et de standardisation), l’IA permet non seulement de garantir l’authenticité des fibres et textiles, mais aussi d’améliorer la conformité des marques avec les lois de reporting extra-financiers et les régulations en matière de responsabilité étendue des producteurs (EPR).

Des entreprises comme Fairly Made, Retraced AI, TrustTrace, CrystalChain et Carbonfact utilisent déjà des solutions pour assurer la traçabilité et la sécurité des données (grâce à la blockchain) tout au long de la chaîne de valeur. L’IA aide ainsi à identifier les pistes d’amélioration et prévenir les risques et erreurs, tout en contribuant aux objectifs de décarbonation.


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AI fashioning tomorrow
©Google DeepMind

L’IA pourra surtout servir à la réduction des déchets, que ce soit au niveau de la production de textiles comme dans la conception des vêtements, permettant d’amoindrir l’impact sur les ressources et d’éviter le gaspillage de matières, de temps et d’argent. Iconique dans le domaine de la traçabilité, Textile Genesis intègre et cartographie plus de 300 « flux de produits » de la fibre au produit fini, et chacun de ces flux de produits comprend une estimation du matériel mis au rebut qu’il génère.

Lorsque l’on retourne sur le terrain, jusqu’aux terres, on découvre des initiatives qui utilisent l’IA et l’imagerie satellite pour pour vérifier les techniques agricoles et identifier les fraudes. Ainsi, GOTS travaille avec l’Agence spatiale européenne (ESA) et le spécialiste de l’IA Marple pour surveiller les cultures de coton biologique indien depuis l’espace. La traçabilité physique (« isotopique » ou médico-légale) telle que la propose Oritain, en est un autre exemple d’usage utile.

Le sourcing, la modélisation et le développement des matières elles-mêmes, virtuelles ou réelles, seront le sujet de notre prochain article !

Révolutionner la production

L’IA ouvre également de nouvelles perspectives dans la conception et la production des vêtements. Les outils de création digitale de produits (DPC) permettent désormais de simuler une multitude de variantes d’un même vêtement sans avoir à produire physiquement chaque modèle. Ce processus permet non seulement d’accélérer le temps de création, mais aussi de réduire la surproduction et le gaspillage lié aux prototypes inutilisés.

En intégrant l’IA à des machines de production intelligentes, des entreprises comme Lectra, avec son panel unique de multiples solutions technologiques et SaaS pour l’industrie textile, optimisent la découpe des tissus en ajustant en temps réel la disposition des patrons, réduisant ainsi les pertes de matière jusqu’à 30 %. Cette efficacité accrue dans la gestion des matières premières est cruciale pour limiter l’impact environnemental de l’industrie textile.

L’intelligence artificielle générative permet de créer et de simuler en un temps record, avec une base de données richement et judicieusement nourrie, un nombre infini de variantes. Elle ouvre ainsi le champ des (plus ou moins) possibles, comme aucun humain n’en serait capable. Cependant, l’humain reste le créatif, celui qui saura, non seulement comment « prompter », et combiner les différentes techniques (web 4.0 et traditionnelles), mais surtout comment choisir les éléments à retenir ou pas, enrichi de ce panel infini de perspectives.

Un exemple parlant est imki, spécialisée dans le développement de solutions d’IA sur mesure, spécifiquement entrainées sur l’ADN des marques, par et pour des designers issus d’écoles d’excellence françaises. En 21 jours, imki a imaginé, créé et produit une capsule en denim composée de 3 silhouettes de 6 pièces, contemporaines et inédites, avec Kipas Textiles et Taypa, leaders mondiaux dans la production et la confection de denim.

Imki AI technology
©imki

Au final, le physique reste décisif. Des IA génératives telles que Wearfits ou Truefit s’attèlent à la tâche hautement complexe du rendu du corps humain, physique, constitué de multiples couches souples, malléables et sensibles, dont les caractéristiques sont aussi nombreuses que les 8 milliards d’humains.


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Par leur capacité d’analyse des données comportementales, comme les préférences d’achat ou les tendances sur les réseaux sociaux, et par le retour en temps réel de l’état des ventes et la prédiction de la demande au niveau global, la production peut être, grâce l’IA, au plus proche des « besoins » d’un client toujours plus impatient. En rationalisant les flux de travail et en réduisant ainsi les délais de mise en marché, « l’intelligence artificielle permet à la fast fashion de devenir l’ultra fast fashion. Il s’agit littéralement d’une efficacité sous stéroïdes. Mais le coût environnemental est accablant. »3

Fashion innovations with AI

Les grands perdants de ce modèle sont l’environnement, mais aussi l’humain et la qualité et, avec eux, la beauté même et le sens de la mode. Car ce soi-disant modèle de production « sur demande » est bien loin du « bespoke » ou de la haute-couture, symboles de savoir-faire traditionnels, pratiques artisanales, longuement apprises, symboles de lenteur, de réelles personnalisation et durabilité.

Nous allons, dans notre 3e article dédié à l’IA, développer plus en détail comment la confection pourra être positivement impactée par ces nouvelles technologies, à l’aube d’une quatrième révolution industrielle.

Réinventer la chaine descendante

La gestion de la fin de vie des vêtements est un domaine où l’IA joue un rôle essentiel, en favorisant une transition vers une économie réellement circulaire. Aujourd’hui, la majorité des vêtements sont jetés, et peu d’entre eux recyclés en raison de la complexité des matériaux utilisés. L’IA aide à surmonter ce défi en facilitant l’identification, le tri et, ainsi, le recyclage des textiles. Le centre de recyclage CETIA , inauguré en 2023, réunit en un seul endroit les technologies d’automatisation du tri et le démantèlement des articles en fin de vie.

Resortecs une entreprise spécialisée dans le recyclage textile, a développé un fil thermosoluble qui permet de désassembler facilement les vêtements. L’IA est utilisée pour optimiser les températures de dissociation, et pour trier automatiquement les composants textiles en vue de leur recyclage.

Bien que prometteurs, ces systèmes sont encore coûteux et nécessitent des infrastructures sophistiquées. La mise en place d’une économie circulaire basée sur l’IA implique des investissements massifs dans la technologie et les infrastructures, ainsi qu’une collaboration entre les marques, les consommateurs et les gouvernements pour rendre ces solutions accessibles et efficaces à grande échelle.


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Si la digitalisation des workflows dans mode est nécessaire, nous pouvons toutefois remettre en doute le fait que l’IA puisse sauver la planète tout en délivrant le dernier-must have, l’IA étant évidemment très énergivore4 et générant quantités de carbone5.

Cependant, tout en gardant au cœur des préoccupations la question et la gestion de son impact environnemental, mais aussi les risques éthiques et légaux qu’elle engendre, l’intelligence artificielle n’en reste pas moins un outil au potentiel immense. Ce, à condition qu’elle soit conduite dans une stratégie responsable et courageuse, avec des lignes de conduite claires, dans le but concret de répondre aux besoins réels des parties prenantes – de l’agriculteur au bio-technicien, en passant par le filateur, le tisseur ou le confectionneur, et jusqu’au client final.

« La question clé, c’est surtout de faire émerger des technologies qui répondent à nos besoins humains sans détruire ce qui permet aux autres créatures d’assouvir les leurs. »

Tarik Chekchak,
Directeur du pôle Stratégies inspirées du Vivant de l’Institut des Futurs souhaitables  

Sources :
1https://www.journalduluxe.fr/fr/business/etude-luxe-technologie-intelligence-artificielle-colbert-bain-2024 
2https://www.statista.com/statistics/1070736/global-artificial-intelligence-fashion-market-size/
3https://greenisthenewblack.com/sheins-sustainability-dilemma-can-ai-and-fast-fashion-coexist/
4https://www.weforum.org/agenda/2024/07/generative-ai-energy-emissions/
5https://hbr.org/2024/07/the-uneven-distribution-of-ais-environmental-impacts

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